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Enquête réalisée par Dimitri Crozet

Mais qu’en est-il du bilan écologique ? Finalisé fin septembre, il a été établi par le service des espaces verts de la mairie avec le concours d’un botaniste. Pour Lucille Lheureux, adjointe chargée des espaces publics et de la nature en ville : « Il y avait deux interrogations principales : premièrement, est-ce efficace ? Et deuxièmement, n’est-ce pas intrusif pour le milieu naturel ? Sur ces deux points, le bilan est très positif ».

 

 

Jacques Ginet, le technicien chargé du projet pour la ville, nuance un peu : « Les moutons n’ont pas causé de dégâts, ils ont mangé pas mal d’arbustes intrusifs, mais pas certaines mauvaises herbes ». Aux 2000 euros de location, se sont ajoutés des investissements équivalents liés à la sécurité :  « On a dû installer 100 mètres de cloture, d’une hauteur de 1m50. Et puis il fallait quelques heures de surveillance par semaine, parfois pour des choses toutes bêtes...par exemple, un mouton qui mange un sac plastique, il meurt », détaille Jacques Ginet. Pour résumer : “Le rendu est partiel, mais l’expérience a permis de nous roder pour l’avenir”.

 

 

Pas sûr. Avant même que le bilan ne sorte, les écologistes souhaitaient déjà se tourner vers des prestataires privés à l’avenir. Pas vers une association comme Naturama, donc. Ni une gestion interne par la mairie. Lucille Lheureux s’en explique : « Le but n’est pas que la ville vienne prendre possession de tous les espaces verts en y gérant ses propres moutons. Ce qu’on préfèrerait, c’est laisser la place à des gens dont c’est le métier, des bergers qui installeraient leur troupeau ». Jacques Ginet le confirme, dès le mois de juillet, la mairie est entré en contact avec un profesionnel.

 

Si la mairie justifie ce choix par la volonté de ne pas surinvestir les espaces verts, le recours à une prestation privée est surtout moins contraignant. Il évite d’avoir à former des personnels. Pour l’expérimentation de la Bastille, tout a d’ailleurs été fait pour éviter des formations trop imposantes pour les agents de la ville.

 

 

“On a l’impression d’avoir participé à un plan marketing” s’agace Christophe Darpheuil directeur de Naturama, « Nous n’avons eu aucun retour sur l’expérience qui a été menée, ni participé au bilan. Comme le projet n’a pas muri avec ces élus, ils ne se le sont pas approprié, nous avons eu essentiellement des contacts avec les équipes techniques. C’est assez frustrant, je pensais que ça allait déboucher sur un vrai partenariat. Ce n’est pas avec une expérimentation de trois mois dans ces conditions qu’on peut tirer des conclusions ».

 

 

Si l’éco-pâturage est un principe médiatiquement porteur, peu coûteux, son efficacité est encore mal jaugée et ses modalités d’application incertaines.

 

 

À Grenoble, les questions de sécurité et de non-dégradation du milieu naturel prédominent dans les grandes lignes évoquées par Jacques Ginet. Quant au bilan énergétique de l’utilisation de moutondeuses, “il n’existe pas encore” affirme le directeur d’Entretien Nature & Territoire. Pour Lucille Lheureux, l’essentiel est ailleurs : « L’objectif, c’est de trouver un nouveau moyen pour entretenir les espaces naturels et de réinsérer l’animal en ville ». L'année prochaine, les écologistes seront aux commandes du cheptel, qu'il soit public, ou privé.

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Dix drôles de tondeuses. Des moutondeuses, en fait. Cinq agneaux, quatre brebis et un bélier, chargés de prendre grand soin de la verdure de la Bastille. Bienvenue dans le monde de l’éco-pâturage ! Définition : entretenir des espaces naturels en évitant le recours à des outils mécaniques, en privilégiant le travail de broutage du mouton. Une tondeuse naturelle sans bruit et sans essence, avec une contrainte : des espaces clôturés et peu fréquentés par l’Homme.



Dix ovidés ont donc parcouru trois mois durant les herbes de la Bastille pour cette expérience. Tous des moutons de Soay. Une race en voie de disparition, issue de l’île du même nom au large de l’Ecosse et particulièrement prisée pour ce type d’expérimentations au vu de ses qualités : « La viande d’un mouton de Soay n’est pas comestible, il n’a pas besoin d’être tondu, il consomme très peu d’eau et mange tout ce qu’il trouve dans son milieu naturel…et sa matière fécale est le meilleur des engrais », énumère Christophe Darpheuil, directeur de l’association Naturama. Basée à Saint-Genis-Laval, à 15 kilomètres de Lyon, cette association créée en 2000 a loué les moutons à la ville de Grenoble, moyennant 2000 euros. En Rhône-Alpes, elle est la dernière à proposer des moutons de Soay. Un troupeau de six moutons, puis dix à partir de 2010, destiné à être loué aux communes. Et ces dernières ne s’en privent pas.

« On a eu l'impression de participer à un plan marketing »


En optant pour l’éco-pâturage, Grenoble a emboîté le pas à nombre de municipalités. L’association Entretien Nature & Territoire a réalisé fin 2013 un audit sur l’éco-pâturage en France. Elle a recensé 150 collectivités engagées dans un projet d’éco-pâturage, et la pratique est exponentielle. Paris, Lyon, Mont-de-Marsan…, les moutondeuses ont la côte. Et pas seulement chez les élus : de plus en plus de particuliers ont aujourd’hui recours à l’éco-pâturage. Un effet de mode ? « C’est vrai que sur une surface de 100m², ça n’a pas un grand intérêt, l’utilisation par des particuliers est plus anecdotique, reconnait le président d’Entretien Nature & Territoire, Alexandre Noury. Mais la médiane des expérimentations menées par les communes est de 3 hectares (30 000 m²) ».



Si elle s’inscrit d’abord dans l’air du temps, l’expérimentation menée à Grenoble a reçu un accueil médiatique tout particulier. Et pour cause, elle a été lancée quinze jours après l’élection d’Eric Piolle (premier maire écologiste d’une ville de plus de 100 000 habitants). L’opération avait tout d’une aubaine que la municipalité fraîchement élue n’a pas laissé passer. En témoignent les photos du nouveau maire recevant les moutons et posant façon berger sur les pentes de la Bastille le 15 avril, jour de l’installation. Et ça marche : “Eric Piolle a tenu parole”, écrit 20 minutes.



Or, c’est pendant le mandat de Michel Destot que la décision de l’expérimentation a été prise...ce que précise le quotidien gratuit un peu plus loin dans l’article. « On parle avec la ville de Grenoble depuis près de deux ans, et la commande date d’il y a un an », confirme Christophe Darpheuil. Plusieurs mois de discussions et de préparation par les socialistes, pour un bilan médiatique au vert pour la nouvelle municipalité.

Des voyants médiatiques au vert

Le 15 avril 2014, Eric Piolle installait en grande pompe dix moutons sur les pentes de la Bastille. Emboîtant le pas à de nombreuses autres municipalités, Grenoble se lançait dans l’éco-pâturage, pour une expérimentation de trois mois. Un coup de projecteur idéal pour le nouveau maire, quinze jours après son élection, et ce alors que la mesure avait été prise sous le mandat de Michel Destot.